Le report des premières élections palestiniennes en quinze ans pourrait raviver les divisions entre le Fatah de Mahmoud Abbas et les islamistes du Hamas pourtant engagés sur la voie de la réconciliation, estiment des analystes.
À moins d’un mois des législatives, prévues le 22 mai et qui devaient être suivies d’une présidentielle fin juillet, le président palestinien Mahmoud Abbas a décrété dans la nuit de jeudi à vendredi le report sine die des scrutins. En cause, selon lui ? Israël n’a pas donné son feu vert à la tenue de la campagne électorale et du vote à Jérusalem-Est, portion de la ville sainte annexée par l’État hébreu où vivent plus de 300 000 Palestiniens.
Sans « garantie » sur les élections à Jérusalem-Est, pas de scrutin dans l’ensemble des Territoires palestiniens, a décrété M. Abbas, 85 ans, et ce, même si la Commission électorale avait confirmé pouvoir tenir le vote dans des banlieues de Jérusalem, du côté de la Cisjordanie occupée.
Pour l’analyste Khalil Shikaki, dont le centre de recherche, le PCPSR, est l’un des seuls à effectuer des sondages dans les Territoires, « il est clair que ce [report] a plus à voir avec les résultats prévus des élections qu’avec la question de Jérusalem ».
« L’impact psychologique de la décision d’Abbas est destructeur pour les Palestiniens. C’est une grosse défaite et cette défaite n’a pas été infligée par Israël, mais par Abbas lui-même. C’est lui qui, au final, a pris la décision », affirme ce spécialiste basé à Ramallah.
« Coup d’État »
Le Fatah de Mahmoud Abbas arrivait dispersé pour ce scrutin, car deux ténors du mouvement, Mohammed Dahlane, frondeur exilé aux Émirats, et Nasser al-Kidwa, neveu du défunt Yasser Arafat et ex-chef de la diplomatie palestinienne, avaient formé leur propre liste.
Fait rare, à Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne, des centaines de personnes ont manifesté dans la nuit de jeudi à vendredi contre le président Abbas et le report des élections.
Des centaines de partisans du Hamas, mouvement islamiste qui a pris le pouvoir à Gaza en 2007 au terme d’affrontements sanglants avec le Fatah, sont aussi descendus dans les rues de l’enclave vendredi pour dénoncer cette décision aux airs d’annulation.
L’impact psychologique de la décision d’Abbas est destructeur pour les Palestiniens. C’est une grosse défaite et cette défaite n’a pas été infligée par Israël, mais par Abbas lui-même. C’est lui qui, au final, a pris la décision.
— Khalil Shikaki
Le Hamas et d’autres factions palestiniennes ont qualifié de « coup d’État » la déclaration d’Abbas, qui met à mal la réconciliation entamée ces derniers mois avec le Fatah pour conduire à des élections, puis possiblement à un gouvernement d’union après le scrutin.
Pour Naji Shurrab, professeur de sciences politiques à l’Université Al-Azhar de Gaza, « la seule solution à présent est de revenir aux élections ».
L’émissaire de l’ONU pour le Proche-Orient, Tor Wennesland, a dit ce week-end « comprendre entièrement la déception de nombreux Palestiniens » et a appelé à « l’annonce d’une nouvelle date » pour le scrutin. « Mais comment Abbas pourra-t-il annoncer de nouvelles élections sans régler le problème de Jérusalem » qu’il a lui-même invoqué, s’interroge M. Shurrab. S’il ne le fait pas, le « report indéfini pourrait conduire à une escalade », ajoute-t-il.
Fragmentation du Fatah
« Au cours des prochaines semaines, les partis tenteront de reformuler » un projet afin d’arriver à un gouvernement d’union nationale, a déclaré à l’AFP le porte-parole du président Abbas, Nabil Abou Roudeina, accusant par ailleurs des « groupes suspects » de chercher à « saper » ce processus.
Mais pour Adnan Abou Amer, professeur de sciences politiques à l’Université Ummah de Gaza, s’il y a un « consensus », c’est bien pour « condamner le report des élections » alors que les candidatures d’une trentaine de listes avaient été validées par la Commission électorale.
Le Hamas parie sur le fait « que le Fatah n’est plus uni comme avant », estime M. Abou Amer. « Cette fragmentation jouera dans l’intérêt du Hamas » et aura des « conséquences politiques sur l’avenir de ses relations » avec le Fatah, ajoute-t-il.
Critiqué pour le report du scrutin, Mahmoud Abbas doit désormais « faire preuve d’une grande sagesse » pour que la situation actuelle ne se « détériore pas davantage » et ne vienne pas renforcer la division entre la Cisjordanie, aux mains d’Abbas, et la bande de Gaza, sous contrôle du Hamas, estime Jamal al-Fadi, professeur à l’Université Al-Azhar.
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